Pourquoi les livres enrichis ne décollent pas ?

Lors du salon du livre de Londres en 2011, Evan Schnittman, vice-président actuel et Directeur Marketing de Hachette Book Group, avait déclaré que les livres applicatifs et les eBook enrichis n’étaient pas des boosteurs de l’édition et qu’ils n’avaient aucun avenir !

En outre pour l’Expo 2014, ils sont les grands absents et ce n’est pas les deux panneaux de l’IDPF qui changeront les choses. Aussi est-ce que le livre enrichi ne possède aucun avenir ? N’existe-t-il aucun marché, aucun intérêt pour celui-ci ? Les éditeurs ont-ils tout simplement renoncé à y mettre les moyens ?

Même si les débats sur l’intérêt de l’eBook enrichi ne sont pas en perte de vitesse, il faut constater que le livre enrichi avec ses vidéos, son audio ou ses autres formes d’interactivités n’a pas suscité l’intérêt du lecteur.

Un des problèmes majeurs des livres enrichis est leur portabilité vers les plateformes numériques : l’iPad d’Apple, Kindle Fire d’Amazon, Barnes & Noble Nook, ou Arc de Kobo… Aucun autre créateur de contenu n’est confronté à ce genre de dilemme.

Peter Costanzo a travaillé au sein de NBC Universal sur des eBooks enrichis sur les plateformes iBooks. Il a pu ainsi participer à la création du « Grimm : The essential guide ». Celui-ci était nettement enrichi, avec des vues à 360° et autres gadgets que permet iBooks Author. L’ouvrage a rencontré près de 250 000 téléchargements, essentiellement auprès des fans de la série… sauf que les utilisateurs ont été frustrés de ne pas pouvoir l’avoir sur leur iPhone ou autres tablettes et smartphones…. tout simplement car il n’était lisible que sur iPad !
C’est ainsi que NBC Universal a dû retravailler sa copie pour essayer de réaliser un ouvrage plus plat et plus traditionnel.

Voici un bel exemple du problème de portalité et surtout la grande raison du pourquoi les livres enrichis ne décollent pas : trop de formats différents, trop de supports différents, trop de matériel différents donc aucune offre réelle, aucun client clairement identifié.

Il faut se souvenir, avant que le format EPUB 2 ne supplante tous les autres systèmes, nous avions un florilège de formats, souvent propre à une marque de matériel. Rappelons-nous que c’est Barnes & Nobles qui les premiers ont offert une gamme de livres numériques chaînée à leur librairie en ligne. Rappelons-nous aussi que l’édition numérique n’a véritablement décollée que depuis qu’elle s’est focalisée sur un petit nombre de formats de livre numérique.

Un livre numérique, qu’il soit enrichi ou non, doit pouvoir être lu sur n’importe quel support. A croire que les fabricants de matériel et de logiciels (je pense aux applications de lecture) n’ont toujours rien compris !

L’expérience iBook Author est intéressante car la base d’un iBook est l’EPUB 3.0 ! Cependant tous les gadgets natifs d’Apple ne sont pas à l’intérieur de l’ouvrage. Plus exactement, le gadget n’est pas codé dans le livre (il n’y a d’ailleurs aucun code), la page du livre ne donne que son indication et quelques paramètres, c’est l’application de lecture, l’iBooks, qui le gère les composants. Cela garantit un fonctionnement à 100% sur l’iPad. Au contraire, les widgets sont des « blocs » composés de HTML5, CSS et Javascript qui peuvent fonctionner séparément, voire dans un navigateur, à l’identique de l’EPUB 3. Il n’y aurait pas loin pour faire de iBooks Author un éditeur EPUB 3 permettant l’utilisation de « gadgets » préfabriqués et ou extensibles. Certain crieront à l’hérésie car les fonctions typographiques d’iBooks Author ne sont pas celle d’un véritable éditeur d’ouvrage imprimé. Et alors ? La lecture sur écran doit-elle obéir aux sacro-saintes règles de l’imprimé ?

Mais revenons sur terre…

Des ouvrages enrichis il y en a ! L’EPUB 2 a su s’implanter comme format standard, et l’EPUB 3 est déjà le remplacement des normes DAISY et permet plus d’interactivité. Alors qu’est-ce qui bloque ?

L’application de lecture !

En effet, il n’existe aucune application de lecture multi-OS pour l’EPUB 3.0 !
Kindle a compris l’intérêt de la portabilité de ses ouvrages en fabriquant une application compatible tout OS. Bien sûr l’idée est de capter un maximum de clients quelque soit leur OS car leur application est (en)chaînée à Amazon.

Lorsque je contacte les fabricants des applications de lecture, tous me disent qu’ils sont sur les rangs, que cela va arriver… alors oui, certaines applications arrivent mais dans quel état ? Soit leur interface est complètement « as-been » soit ce sont des améliorations incertaines d’applications obsolètes déjà existantes, soit ce sont des applications qui ne sont pas 100% compatibles car les développeurs se sont basés sur ce qui est de l’ordre de l’affichage et non des améliorations liées à l’EPUB 3, certaines sont même des navigateurs Web cachés, et quelques rares arrivent à afficher des EPUB 3 mais pas 100% compatibles.

Ne pourrait-il y avoir un cahier des charges indiquant ce que doit-être une applications de lecture 100% compatible EPUB 3 ? Si ! cela existe déjà par l’intermédiaire des bancs test de l’IDPF. Pourquoi personne ne bouge alors, personnes sauf quelques rares acteurs.

En fait tout bloque, les éditeurs sont près à faire de l’ouvrage enrichi mais il faut faire appel à une main d’oeuvre technique spécialisée, donc plus chère, et ça leur fait peur car ils n’y sont pas habitués. Si on parle de surcoût, on sait très bien qu’un eBook ne se vend plus au delà des 8 euros (et encore) ; on sait aussi que c’est entre 0.99 et 4 euros que se situe la grosse partie des ventes. A ce prix là, les éditeurs n’ont aucune chance de rentabiliser leur investissement à moins d’être immédiatement un bestsellers. En outre, il n’est pas question de faire concurrence au livre de poche – la vache à lait de l’édition traditionnelle déjà bien en proie à de sérieuses difficultés.

Quoi qu’il en soit, il faudrait aussi avoir le matériel permettant de lire du livre enrichi… Hormis l’iPad, aucun autre matériel n’est livré nativement avec une application de lecture compatible EPUB 3. Pire rares sont les éditeurs d’application de lecture qui indiquent la version d’EPUB qu’ils gèrent, quand ce n’est tout simplement pas totalement farfelu. Alors pourquoi ne pas générer une appli 100% EPUB 3 ?

A qui profite le crime, dirons-nous ? Si l’application de lecture est gratuite, comment la rentabiliser ? Si le client est un éditeur, il va vouloir chainer et verrouiller l’application pour que lui seul ne soit lisible, ce qui va à l’encontre du lecteur.

Les intérêts des acteurs économiques ne sont pas les mêmes.

1) Le lecteur souhaite acquérir à moindre coût son ouvrage, quelque soit sa provenance ou la maison d’édition. Il veut le lire en étant indépendant de son matériel car il souhaite pourvoir le lire sur tous les supports qu’il possède et le transférer de l’un à l’autre (tablette, smartphone, tv, etc.). Il veut aussi être libre de choisir son livre parmi les éditeurs qu’il veut (indépendants, grands éditeurs, auto-publication, réalisations personnelles).

2) Les éditeurs veulent diffuser largement leurs productions sans se ruiner en coûts de fabrication tout en se garantissant un certain revenu. Ainsi ils vont soit verrouiller l’ouvrage par l’utilisation de DRM qui interdisent la portabilité multi-support, soit enchaîner le lecteur à sa librairie, ce qui oblige celui-ci à être dépendant de son éditeur.

3) Les éditeurs de logiciels ne voient pas l’intérêt de l’application de lecture. Il s’agit d’un marché marginal si on le compare au marché du jeu plus attractif. Ils n’ont pas la possibilité d’enchaîner le lecteur, sauf en créant de l’application en ligne, ce qui va à l’encontre de la lecture d’un livre (mode déconnecté ?) ou créant des types d’abonnement à son service ou à connecter son application à des offres d’éditeur de livre,  ce que ne souhaitent pas les clients. Pour quelle cible, à quel prix, avec quelle rentabilité ?

4) Les fabricants de matériel, ils sont trop préoccupés par leur concurrence interne et peu soucieux des applications puisque les utilisateurs peuvent trouver n’importe quoi dans les Appstores. Alors pourquoi se préoccuper de livrer nativement une application ?

Si on mets tout ceci bout à bout, je ne vois pas comment se sortir de ce sac de nœuds ; 2 hypothèses pourtant :

  • la fabrication d’une application de lecture multi-format multi-support par les pouvoirs publiques en missionnant des prestataire extérieurs ? Jusqu’à présent malheureusement on ne peut pas dire que cela réussi (logiciel des salaires pour l’armée, les tromblons logiciels de l’Education Nationale, etc.)
  • la fabrication d’application EPUB 3 100% compatibles par des développeurs de talent, et passionnés… gratuitement.
  • Attendre patiemment que les applications existantes, compatibles aléatoirement EPUB 1 ou EPUB  ou emprunts de navigateurs HTML, se décident doucement à s’y mettre…

Mais il ne faut pas s’attendre à voir l’édition enrichie prendre son envol avant cela !

Petite remarque pour la forme 

Si vous souhaitez travailler un EPUB en mode fixed layout (mise en page fixe), vous devez opter pour une version EPUB 3. L’EPUB 3 offre les deux options : mise en page fixe ou mise en page reflow. L’EPUB 2 ne reconnait que la mise en page reflow, c’est à dire adaptable.

Ainsi, si vous souhaitez simplement éditer un livre fortement imagé avec une mise en page assez spécifique, donc en mise en page fixe, vous vous heurterez aux mêmes soucis que pour le livre enrichi même s’il n’y a pas d’enrichissement de type multimédia ou interactif…