Hachette-Amazon, pot de fer contre pot de terre…

Depuis plusieurs semaines, je vois passer les blogs concernant le différent entre Hachette et Amazon. Mais de quoi s’agit-il ? Des conditions de ventes et certainement des histoire de gros sous… Espérons que les auteurs et les lecteurs n’y laisseront pas leurs plumes.

Le point de départ est la volonté d’Amazon de vouloir renégocier le contrat de vente avec Hachette. Pour rappel, Hachette a été un des tout premiers à faire les frais du procés antitrust de 2012 en renonçant au contrôle des prix sur une période de 2 ans qui est maintenant écoulée. Or, les négociations, ou les points de friction, portent justement sur les livres papier et les ebooks.  Plus important, il est question qu’Amazon s’arroge la possibilité de baisser le prix des eBooks.

Au delà du bras de fer entre Amazon et Hachette, il y a le risque de voir revenir sur le devant de la scène, un certain contrôle des prix, avec un risque de retour en arrière et de préjudice pour les acheteurs d’eBooks, du coup l’affaire s’enflamme et les auteurs et les consommateurs s’en mèlent.

À la mi-mai, Gail Hochman, Président de l’association des auteurs, qui représente des dizaines de milliers d’auteurs nord américains, écrit une lettre destinée à Amazon dans laquelle il se réfère à des plaintes d’auteurs ou d’agent littéraire de voir des anomalies de gestion de stock liée uniquement à Hachette et qui seraient provoquée de manière totallement artificielle. En fait, il semblerait qu’Amazon utiliserait ce moyen pour faire pression sur Hachette, privant ainsi les auteurs de leurs ventes, et générant un fort mécontentement des lecteurs qui n’arriveraient tout simplement pas à obtenir les livres qu’ils ont payés. Ne voulant pas prendre partie dans ce litige, il apparente néanmoins cet état de fait à une prise d’otage qu’il ne peut cautionner car elle crée des préjudices sur les clients et les auteurs qui n’ont rien à voir avec le différent Hachette-Amazon.Pour finir il conclu ainsi, « c’est une tactique brutale et manipulatrice, de la part d’une société qui proclame ironiquement que son objectif est de satisfaire pleinement les besoins et les désirs de ses clients et d’être le champion des auteurs ».

Dans un article du NewYork Times, Sophie Cottrell, un porte-parole de Hachette blâmait Amazon pour ses actions sur les expéditions :
 » Nous avons posé des questions légitimes concernant beaucoup de nos livres sont actuellement marqué en rupture de stock et indiquant des délais d’expédition anormalement long sur le site Amazon, contrairement à leur disponibilité immédiate sur d’autres sites et dans les magasins. […] Nous répondons à toutes les commandes d’Amazon rapidement ».

Cependant, Michael Sullivan, du DBW, a détaillé ses expériences au cours des derniers mois et il a une vision très différente de l’action de Hachette qu’il soupçonne de ne pas livrer correctement Amazon et d’annoncer des délais de livraison plus court que ce qu’il pratique en réalité.Pour lui comme pour d’autres auteurs, Hachette ne serait pas si sincère que ça et surtout fait défaut dans sa communication en voulant faire croire que « tout va bien ».

Aussi il ne faut pas oublier une chose, c’est que Amazon est le plus grand point de vente de livre des États-Unis et en agissant sur les ventes par l’intermédiare des stocks, il fausse les estimations et les statistiques sur lesquelles se base par défaut, Hachette. Cet état des choses crée un flou au sujet des statistiques de ventes et donc par rebond, fausse la gestion d’approvisionnement des stocks d’Hachette qu’il soit de bonne foie ou non. La boucles est bouclée ! En privant les ouvrages d’Hachette d’être disponible en précommande, Amazon le prive de sa meilleure source prévisionnelle.

Regardons maintenant ce que souhaite précisément Hachette et Amazon.

Hachette qui détient 1/3 des ventes d’eBooks sur le marché américain voudrait obtenir une marge de 70% sur chaque vente ce qui nécessite d’une part à ce que le prix des eBooks augmentent et d’autre part qu’il puisse agir sur le prix de vente des ouvrages, c’est à dire qu’Hachette dicte ses conditions tarifaires.

Amazon, quant à lui, est un farouche opposant à la fixation des prix par les éditeurs, et souhaite augmenter sa marge et maintenir bas ou abaisser le prix des eBooks. Dans cette expectative, cela oblige les éditeur à grignotter sur leur marges, voir risquer de vendre à perte, tout en perdant le contrôle des prix de leurs ouvrages. Une position et des intérêts radicalement différents entres les deux entités économiques ! Les tensions vont aller crescendo puisque la fin du décrêt antitrust arrive cet automne et l’avenir même d’Hachette est engagé dans la bataille.

En outre, est-ce une rumeur tactique ou réellement fondée, mais Amazon aurait faussé ses algorythmes en augmentant fortement le prix de certains ouvrages d’Hachette, tout en créant de la rupture de stock et orienterait les clients vers des articles « similaires » à prix très nettement inférieurs, et naturellement issus d’autres éditeurs. Hachette pour sa part essaye de diviser pour régner en effectuant des actions de communication auprès des auteurs.

On peut être pour ou contre Amazon ou Hachette mais quels sont les tenants et les aboutissants ?

Rien n’oblige Amazon à jouer fair-play avec ses partenaires ni à se laisser dicter les prix, le business est business ! D’un autre côté rien n’oblige Hachette à venir jouer dans la cour du plus grand marché de livres et de refuser de se contraindre à ses règles.

En 2010 la situation était différente car Amazon avait besoin des éditeurs pour étoffer son offre d’eBook, du coup ceux-ci on pu profiter de marges confortables, souvent encore calquée sur les marges de l’édition traditionnelle. Aujourd’hui, la donne est différente. Amazone n’a pas besoin des éditeurs pour vivre au contraire de Barnes & Noble par exemple. La branche Livre d’Amazon n’est qu’une des nombreuses feuilles du millefeuille économique très juteux d’Amazon, et de ce fait il pourrait fermer sans problème ce robinet.

Si Hachette se retire d’Amazon, celui-ci n’en souffrirait pas et Hachette se priverait de sa ressource principale de revenus. Si Hachette se plie aux pratiques d’Amazon, cela impactera fortement ses marges et son avenir. Pourquoi ne pas chercher une solution différentes dans la diffusion des eBooks ?

Les éditeurs ont négligé la piste des bibliothèques et médiathèques qui font figurent de client de 4ème zone. Ils se sont aussi détournée d’autres plateformes de diffusion et ne sont pas prêt de créer leur propre plateforme, bien qu’il y ait eu des tentatives comme avec 1001librairies, chez les libraires en France. Cerise sur le gâteau, la part belle aux éditeurs est en train de disparaître et ceux-ci sont en train de perdre de leur levier d’action sur Amazon du fait de l’importance de l’auto-édition. Si l’auto-édition représente plus de 50 % des eBooks eau Royaume-Unis, on peut imaginer la force économique de celle-ci aux USA. Pour finir, Amazon considère que l’éditeur ne sert à rien dans le rapport auteur-diffuseur !

Le rapport de force n’est vraiment pas en faveur d’Hachette et d’autres risque fort d’y laisser des plumes comme Warner Home Video sur un autre terrain que celui du livre.

Une autre bombe à retardement est en train de se profiler, celle des traducteurs. En effet, Amazon a lancé il y a maintenant quelques années, le programme AmazonCrossing qui consiste à élaborer la traduction des ouvrages ou de documents divers et variés. C’est ainsi qu’Amazon publie le plus grand nombre de traductions que les autres éditeurs sur le marché américain. En outre, Amazon promettait que ce programme était gage d’emplois. Cependant, toute médaille ayant son revers, l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) a envoyé une lettre ouverte à Dean Burnett, directeur d’AmazonCrossing, sur la base que,  selon eux, les contrats concernant les traducteurs soulevaient un certain nombre de problèmes.

Le premier point concerne la rémunération des traductions qui s’élèverait entre 5 et 12 cents le mot, soit 3 fois moins que la rémunération habituellement versée par les éditeurs français.

Le deuxième point se cristallise autour de la communication des guides de styles, des intructions de traduction, des documents juridiques qui sont tous rédigés en anglais. Ceux-ci sont très généralistes et standardisés et concernent toutes les traductions quelque soit le public auquel ils sont destinés. Ce qui laisse entrevoir le style de traduction qu’il en résultera.

Le troisième point est l’établissement d’un droit de regards sur l’avancement des travaux de traduction d’AmazonCrossing sur le traducteur. Celui-ci doit fournir 2 fois par semaine un état d’avancement et fournir les traductions partielles correspondantes. La réponse polie de l’ATLF est que  « le traducteur doit être libre d’organiser son travail comme il le désire et n’avoir a justifier ses choix que lorsque ceux-ci sont définitifs, c’est-à-dire à la remise de la traduction » [sic]. Il est vrai que cette ingérence dans leur travail n’est pas habituelle dans la profession.

Le quatrième point de friction est l’abandon des droits intellectuelles des traducteurs au profit d’AmazonCrossing qui se réserve le droit de les utiliser ou de les exploiter ou non pour tout les domaines et quelque soit leur forme. C’est pour ainsi dire l’abandon pur et simple de tous leurs droits. Pire, AmazonCrossing peut modifier, ou adapter la traduction.

D’un point de vue juridique, AmazonCrossing est domiciliée au Luxembourg. Ceci bien sûr a des conséquences fiscales mais aussi juridiques car d’une part les contrats des traducteurs sont plus favorables à AmazonCrossing mais d’autre part, la loi luxembourgeoise permet le transfert des droits intellectuels au bénéfice d’un tiers, ce que ne permet pas loi française, et cela arrange bien AmazonCrossing.

En effet les traducteurs et auteurs ou créateurs français ont un droit moral inaliénable de leurs créations, à Luxembourg, le droit moral peut être transférée à un tiers, comme par exemple avec le droit d’auteur. A priori les associations de traducteurs italiens et allemands ont enboîté le pas en pointant du doigt les contrats d’AmazonCrossing.

De là à penser que Amazon ne se prive des services de traducteurs de qualité au profit de traductions automatisées ou aseptisées avec tous les risques que cela comporte pour les documents juridiques, il n’y a qu’un pas !

Et le consommateur dans tous cela… Si le rouleau compresseur continue de la sorte, on va se retrouver dans un système où dans un premier temps ils vont gagner à voir baisser le prix de leurs achats et dans un deuxième temps, lorsqu’Amazon aura asphyxié les éditeurs, raboté les auteurs indépendants et liquidés les traducteurs, le consommateur n’aura plus la qualité de ce qu’il avait auparavant. Moins d’offres, une qualité médiocre, des auteurs majoritairement anglo-saxon mal traduits ?

Je ne suis pas certain que la politique business is business d’Amazon ne soit réellement profitable à l’édition voir ne l’achève.