Audible ou les légendes urbaines
Captions est le nom de la nouvelle avancée technologique d’Amazon qui fait grincer des dents des éditeurs et des auteurs.
Captions : la lecture audio légendée
Derrière le mot Captions, en français « légendes », se cache une redoutable machine issue des technologies de l’intelligence artificielle (IA). En fait il s’agit d’une application capable de retranscrire l’audio en simultané sous la forme de légendes textuelles. Génial pour les conférences, pour l’accessibilité, où vous avez la possibilité de suivre sur écran votre orateur. Lorsque que le texte est couplé à un traducteur, vous avez le bonheur de suivre le discours dans votre langue alors que l’orateur s’exprime dans une langue étrangère, que vous ne connaissez ou ne maitrisez pas.
Mais alors où est le mal ? En fait, le mal vient de son utilisation par Amazon dans les livres Audible.
Le livre Audible d’Amazon est ni plus ni plus qu’un livre audio. C’est à dire qu’un « comédien » va lire le texte du livre. Selon le livre, il peux y avoir plusieurs voix, plusieurs tons, parfois une mise en ambiance, etc. Cependant jamais il n’est question de texte. Or c’est là que le bas blesse.
En effet à partir du moment où Amazon décide d’introduire cette technologie dans ses livres audio, elle va afficher du texte. Bien sûr il faut pour cela que votre lecteur de livre audio soit doté d’un écran et c’est le cas des appareils d’Amazon… les liseuses et autres tablettes, les smartphones…
Questions de droits
Toute l’astuce d’Amazon consiste à utiliser un transcripteur et non d’afficher le texte de l’ouvrage d’origine. Le fait de transcrire l’audio crée une nouvelle oeuvre au sens juridique du terme, même si le texte est quasi identique. Dans le monde de la musique, il existe les droits de l’interprète. Par exemple si vous jouez une symphonie de Beethoven, le résultat audio que vous produirez sera de votre propriété, au sens du droit d’auteur. Il n’empêche qu’il existe un droit d’auteur lié à la partition écrite par Beethoven.
Amazon aurait pu très bien utiliser dans ce cas les technologies du Media Overlay. Le résultat aurait été le même bien que dans ce cas on procède autrement. Dans le cas Media Overlay, on utilise l’audio et on le synchronise avec l’affichage du texte. Ensuite on peut décider de n’afficher que des portions de textes à la manière d’un karaoké ou bien de mettre en valeur (en surveillance par exemple) les éléments du texte au fur et à mesure du défilement de l’audio.
Les Big five portent plainte
Les big five, Hachette Book Group, HarperCollins, MacMillan Penguin et Simon & Schuster, ont décidé de porter plainte contre Audible. L’idée de fond est de dire qu’il y a détournement du droit d’auteur. Plus exactement Audible détournerait le droit d’auteur inhérent à l’oeuvre originelle pour son propre usage ou bénéfice et ce sans autorisation. En fait il serait plutôt question de droit d’exploitation.
L’argument d’Audible est que l’objectif de Captions est d’aider les éducateurs et les parents à amener « les enfants qui ne lisent pas à s’intéresser à la lecture. Cette fonctionnalité permettrait de suivre l’audio avec quelques lignes de texte générées par une machine. Ce n’est pas un livre, et cela n’a jamais été le but« . Comme le rapporte idboox.com.
A la lecture des arguments des deux camps, il est aisé de comprendre que derrière tout ça, il s’agit d’une histoire de gros sous et rien d’autre.
Le big five voient un moyen de récupérer une manne financière dans les collections de livre audio d’Amazon ou de protéger ses droits d’exploitations et Audible essaye, lui, de contourner le droit d’auteur en général en se basant sur 2 arguments.
Le premier consiste à dire que des lignes affichées les unes à la suite des autres ne constituent pas un livre et donc une oeuvre dans son ensemble. Cet argument est absurde pour plusieurs raisons. D’abord un livre EST une succession de mots et de lignes. C’est comme cela qu’on lit un livre, non ? En plus, si on le rapporte au droit de citation, il est considéré comme violation d’afficher des citations trop nombreuses d’un ouvrage. Une citation doit être ce qu’elle est, courte, concise et doit illustrer un propos. Dans le cas d’Audible, la successions de lignes pourrait s’apparenter à une succession de citations… Des extraits d’oeuvres mis les uns à la suite des autres forment bien le livre complet !
Le deuxième argument concerne le fait que le texte soit issus d’une machine. L’idée d’Amazon est de dire que puisque c’est une machine qui fabrique le texte, le texte final est l’oeuvre de la machine et non de l’auteur (or la machine m’appartient). Qu’une machine transcrive de l’audio pour le mettre en forme…textuelle… ne contourne absolument pas le fait qu’il y ait un texte originel ou plus exactement une oeuvre originelle.
Par exemple, un auteur dicte son oeuvre sur un dictaphone. Une personne transcrit le fichier audio sur une machine à écrire et la met en page. Est-ce que le fait qu’entre l’oeuvre de l’auteur et le texte final, il y ait un intermédiaire fait que l’on peut s’affranchir du droit d’auteur. Bien sûr que non. Vous me direz que dans ce cas l’intermédiaire exécute une tâche sous la consigne et l’autorisation de l’auteur pour concrétiser (donc mettre sous une autre forme) l’oeuvre audio sous la forme d’un texte. Et alors ?
Du côté des Big five ne nous leurrons pas. Lorsqu’un auteur signe avec une maison d’édition, il abandonne ses droits d’exploitation. Or s’il vous est arrivé de lire de tels contrats, vous vous êtes certainement rendus compte que votre éditeur se donne le droit d’exploiter votre oeuvre « sous quelle que forme que ce soit » et même d’en utiliser des « extraits« . En tout cas pour la majorité des contrats. Il est même possible qu’il verrouille ce droit en appliquant une clause d’exclusivité.
Ainsi, votre éditeur possède les droits d’exploitation… audio !
Vous avez compris ? Ce que dénonce les Big five est la violation de leurs droits d’exploitation. L’éditeur peut ne pas exploiter votre manuscrit sous forme audio ou vidéo, c’est son droit. Mais celui de l’auteur consiste à respecter ce droit. L’auteur ne peut pas signer en parallèle avec Audible sans l’accord de sa maison d’édition ou que cela soit spécifié dans le contrat.
De même, la maison d’édition peut très bien « missionner » un prestataire ou un autre éditeur spécialisé pour la fabrication ou l’exploitation de votre oeuvre sous forme de livre audio.
La question est donc de savoir, si oui ou non Amazon a obtenu les droits d’exploitation d’une oeuvre pour en faire un livre Audible. Dans la négative, il y a faute et dans l’affirmative, je ne vois pas pourquoi le fait de retranscrire l’audio sous forme de texte constituerait une violation, du moment où ce texte reste à l’intérieur du livre audio et qu’audible n’en fait pas une autre exploitation.
Je pense que tout simplement les éditeurs traditionnels voient simplement une forme de concurrence qu’ils veulent simplement éradiquer ou contrôler.
La bataille juridique risque fort d’être intéressante car elle répondra peut-être aux questions suivantes :
- Une texte résultant de la transcription d’une oeuvre audio, est il de l’interprétation ou une copie de l’oeuvre originelle ?
- Des lignes séparées ou des phrases séparées d’un ensemble textuel, si elles sont mises bout à bout dans une même oeuvre d’une autre nature constituent-elles une oeuvre dans son ensemble ou la copie du texte originel ?
- À qui appartient le droit d’auteur du texte généré par une machine ?
Ce dernier point est peut-être le plus important, car nous en sommes plus aux premiers tests de livres entièrement écrits par des machines. Alors, quid d’une affaire de gros sous ?