I.A au service de l’auteur ?

La start-up Authors AI a créé un programme A.I. Marlow (A.I. traduisez I.A. intelligence artificielle) et Marlow du nom du tragédien qui a inspiré Shakespeare (à moins qu’il ne s’agisse du détective privé Philip Marlow), pour le pire ou le meilleurs de la littérature.

L’objectif du programme est d’analyser l’ouvrage, principalement un roman, pour proposer des améliorations. Il ne s’agit pas ici de réécrire le livre mais de proposer à son auteur une analyse du rythme de l’histoire, les caractères des personnages, la complexité de l’histoire, etc. tout en corrigeant les fautes, c’est bien le moindre mal.

Si l’on peut trouver le programme utile, en tant qu’auteur, il faut néanmoins s’en méfier. En effet, comme tout ce qui touche à l’I.A., les algorithmes se basent sur l’existant. Le logiciel a besoin de modèles pour pouvoir effectuer une comparaison avec le texte du livre. Or là est le problème. Les modèles se référent aux bestsellers, et chacun sait qu’un bestseller n’est bestseller que que parce que le parquet marketing est bien rodé et performant. Je ne rentre pas dans l’illusion des prix X et Y où l’on retrouvent toujours les mêmes, cercle bien fermé. Bien sûr il ne faut pas dénigrer le talent des auteurs mais ceci pour expliquer que des succès commerciaux ne peuvent être entendus que comme des succès commerciaux et ne reflètent pas (toujours ou forcément) le talent d’un auteur. Il suffit de regarder l’engouement soudain pour les publications des Youtubeurs, c’est bien plus l’idée de faire de l’argent (les éditeurs) qui a primé et non de promouvoir un réel talent. Attention, lors de la première vague d’édition, il y avait quelques youtubeurs talentueux… Après la sources s’est tarie.

Ainsi le risque est de n’analyser un ouvrage qu’avec les yeux du marketing comme le fait déjà le secteur de la musique ou du cinéma. L’édition business. Il suffit d’allumer la radio pour comprendre le problème. A l’extrême, ce genre d’analyse risque d’engendrer des livres calqués sur le même mode de réussite que les « bestsellers », c’est à dire purement marketing dans un conformisme bien réel. Au final, où se trouve la part « personnelle » de l’auteur, la chose qui fait que l’on trouve un livre si particulier, qu’on aime ou qu’on déteste d’ailleurs ?

Le talent est quelque chose de subjectif comme les goûts et les couleurs dirons-nous. Ça plait ou cela ne plait pas. On peut toujours trouver un livre mal écrit, mais son auteur peut aussi s’améliorer, mûrir, changer, évoluer en bien ou en mal… Bien pour certains, mal pour d’autres.

Doit-on citer J.K. Rolling qui s’est vu fermer la porte des éditeurs tant le livre avait été jugé non adapté au marché ? Si A.I. Marlow avait existé à ce moment, le livre aurait été définitivement exclu ou bien serait devenu tellement fade et conforme, perdant au passage l’histoire originelle et le talent de J.K. Rowling.

Google ou Amazon ont tous les deux travaillé sur l’intelligence artificielle pour l’écriture du livre et les résultats sont bluffant. Le souci vient, là encore, de l’algorithme qui se base sur les réussites livresques. Les modèles sont issus des bestsellers américains – là se pose aussi la disparition du pluralisme culturel. N’oublions pas que les états scandinaves, je crois le Danemark plus que les autres, vont jusqu’à sponsoriser leurs auteurs à écrire des textes en langue native, comprenez en suédois, norvégien et danois, de peur qu’on ne trouve que des ouvrages en langue anglaise. La perte de culture dans ces pays est un sujet très sérieux qui devrait aussi nous inspirer.

Est-ce qu’un algorithme peut se substituer à la critique des lecteurs ? Est-ce qu’il doit orienter le style de l’auteur, se substituer à lui-même ?

Ce genre de logiciel ne peut que servir les intérêts des éditeurs et non pas, à terme, ceux des auteurs. On pourrait faire comme on le fait pour les ouvrages numériques les passer au checker (validateur). Ainsi comme on utilise EPUBCHECK pour valider la structure d’un livre au format EPUB, on pourrait utiliser A.I. Marlow pour valider le contenu de l’ouvrage. Ainsi validé, l’auteur est rassuré de réaliser un livre qui plaira à coup sûr, et pourra le proposer à l’éditeur (qui n’aura pas besoin de le lire, ou de lire son synopsis, tant les comités de lecture se font rares) qui, rassuré de la même manière, s’assurera aussi de son bénéfice. Au final, on risque de voir sur les couvertures, non plus le nom de l’auteur, mais des termes marketings indiquant le taux de réussite au test A.I. Marlow (pour le coup Philip Marlow ça fait mieux) pour preuve de talent. L’auteur devenant interchangeable à un autre.

D’ailleurs l’entreprise A.I. Author ne s’en cache pas, le logiciel est naturellement à vendre (par abonnement), l’argument principal est « For serious authors who want to make a living with their writing« , comprenez pour les auteurs sérieux qui veulent vivre de leurs écrits ! Il faut bien un tel argument pour justifier les 199$ par an. Pour les « auteurs » qui ne sont pas « sérieux », ils peuvent se rabattre sur la version gratuite « Great for first-time authors looking to strengthen their craft (Best for aspiring authors) » soit « Idéal pour les nouveaux auteurs qui cherchent à renforcer leur métier (Idéal pour les auteurs en herbe) » (traduction Google pour le fun). Oui c’est l’esprit américain qui prime : un écrivain sérieux est celui qui génère du cash. Les autres… c’est pas sérieux !

Bref, nous ne sommes pas si loin de l’écriture par l’I.A. avec ce genre de procédé même si à la base l’analyse du texte peut être louable voir salutaire. Mais comme d’habitude, c’est plus l’idée de faire de l’argent que le talent qui est mis à l’index.

Le lecteur ainsi rassuré par le marketing ne deviendrait qu’un consommateur de textes… tous très conformes, très fades, dans un monde tout aussi lisse et fade. Nous vivons la globalisation de l’édition comme celle de l’industrie du cinéma, de la mode, de l’alimentation, de la musique et j’en passe, mais au-delà de ça, un glissement inéluctable vers d’une société ultra-conformiste, où la culture au sens large n’est qu’un produit comme les autres.

Il est temps d’y mettre un terme et de retrouver l’humain et les couleurs du monde.

Pour les curieux : https://authors.ai/